Il est arrivé un jour dans mon cabinet. Immense, chancelant, si fragile du haut de ses huit décennies. Il tombait, se faisait mal, peinait à se relever, et pourtant si digne.
Nous avons commencé par travailler l’ancrage au sol, c’était délicat pour lui d’oser rouvrir ses grandes ailes sans partir en arrière emporté par elles. Mais il a essayé. Tout. Il a tout essayé, tout ce que je lui proposais, au risque de la chute. J’étais là, prévenante, encourageante (j’ai toujours une foi indéfectible en leur capacité à réussir) prête à le rattraper au cas où.
Nous avons travaillé les appuis, répété encore et encore, comme les danseurs de ballet, c’était un curieux ballet.
Se tenir droit, tourner le buste, ouvrir le regard, bouger un pied, puis l’autre, dans un sens, puis un autre. Il a pédalé aussi! Il fallait muscler les jambes, qu’elles deviennent plus fortes.
Au fil des séances je l’ai vu regagner confiance en lui, en ce corps si peu écouté au cours d’une vie. Il arrivait à chaque fois plus alerte. Et nous avons commencé à rire (il faut dire que je suis marrante quand je m’y mets! 😄).
Et puis nous avons travaillé le lever de chaise avec les élastiques. J’ai dû déployer des trésors d’imagination pour inventer à chaque difficulté l’exercice qui le placerait en réussite. Et ça a marché, il a réussi.
Ne plus utiliser ses bras -forts!- mais tout son corps dans un mouvement coordonné, maîtrisé.
À chaque fin de séance, nous avons travaillé le relâchement musculaire, car un traumatisme d’enfance lui avait crispé les muscles pour toujours (plus jamais ça son corps avait dit).
« On fait le bras mou? » m’a t il demandé hier en fin de séance, j’ai éclaté de rire…allez, on fait le bras mou.
On avait parié il y a quelques semaines que s’il réussissait à se lever de la chaise sans s’aider de ses mains on boirait le champagne !
Hier, on finissait la séance par cet exercice. J’ai retiré élastiques et coussins.J’ai dit: »Allez, tu te concentres, tu bascules le buste en avant, tu PEUX y arriver, tu VAS y arriver… ».
Il s’est concentré, il a mis toute son énergie, il a basculé en prenant son élan, il a décollé….et il s’est levé.
….j’ai pleuré.

« Tu mettras du temps à éclore »
Une éclosion.Lente.La vie est une lente éclosion.Devenir soi est un film au ralenti.« Tu mettras du temps à éclore » m’avait-il écrit